Éloge de la lenteur

Comment prendre le temps de vivre ?

Dans une société qui nous pousse à aller toujours plus vite, sans plus prendre le temps de s’arrêter un instant, quelle place reste-t- il à la lenteur ?

Notre réalité

Partout autour de moi j’observe les gens qui courent. Toutes les trente secondes ils regardent leur montre et soupirent sous l’effet du stress. Dans les transports des grandes villes, on observe cette course qui semble ne jamais s’arrêter. Tels une multitude de lapins blancs dans Alice au pays des merveilles, j’entends « en retard, en retard, je suis encore en retard ! ». Et le lapin saute dans son métro/tramway/voiture et s’impatiente d’arriver au point B, complètement absent dans ce temps qui sépare ses points de chute. J’avoue, ma première semaine sur Paris, je me moquais volontiers de cet empressement qui poussait les gens à courir dans les escalators pourtant en action. A peine une semaine après, je m’étais transformée en lapin. Oui, à deux minutes près je ne voulais pas rater le prochain train.

Le milieu de la santé ou « comment prendre le temps d’être ensemble ? »

Le milieu de la santé est l’un des plus touché par l’accélération de la productivité. Plus de malades n’engendre malheureusement pas l’emploi de plus de soignants. Le personnel infirmier en témoigne de plus en plus fréquemment. Ils ont embrassé ce qui pour eux était une vocation : prendre soin de son prochain. Dans leur imaginaire ils se voyaient au chevet des patients, à leur procurer soutien, écoute, présence. Ce fut le cas il y a de nombreuses années. Aujourd’hui le nombre croissant de malades engendre une autre façon de les traiter. Ils ne sont plus désignés par leur nom mais par un numéro de chambre. Les infirmiers ne voient plus défiler que des chiffres tout au long de la journée. Plus de discussion, plus le temps de s’intéresser, de compatir, de soigner. Ils ont pour mission d’enchaîner les toilettes qui sont devenues bâclées, expéditives. Rentrer dans une chambre en offrant à peine un “bonjour” ou un regard à son patient, remplir une poche de médicament, débarrasser un plateau, donner une info pour le prochain rendez-vous médecin… furtivement. Tellement furtivement que le burn out gagne de plus en plus le milieu du soin. La charge de travail augmente. Mais le lien à autrui se délite. Pas étonnant que les arrêts de travail se multiplient. Chacun perd le sens de son travail et pour sortir du marasme on en devient obligé de forcer un arrêt par son médecin (ou son remplaçant si ce dernier est lui-même en “overdose”).

Bien sûr ce qui s’applique au milieu médical que je connais bien est tout aussi valable pour les autres secteurs. Il faut toujours aller plus vite, terminer une tâche pour en commencer une autre, mais notre corps et  notre esprit ne sont pas faits pour fonctionner comme de bêtes machines automatisées…

Et si l’on prenait le temps ?

Non seulement la pause journalière a un impact positif direct sur la productivité, mais elle contribue en plus au bien-être et à la santé des employés et donc à celle de l’entreprise, par une productivité accrue.

Pourquoi il nous faut changer notre façon de voir.

Quelle est la différence entre un trajet en train et ce même trajet à vélo ou à pied (à part la durée du voyage) ? La façon de le percevoir. Alors que dans le train le paysage défile aux environs de 300 kms/h, et que nos yeux tentent désespérément de se raccrocher à un repère stable, le fait de réaliser un trajet à vélo ou à pied se révèle bien plus bénéfique pour le mental. Le cerveau s’oxygène, ce qui relance naturellement la création de nouveaux neurones. L’état de relaxation est atteint beaucoup plus rapidement, car tous nos sens entrent en lien direct avec leur environnement : la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, etc.

Durant un trajet « maitrisé » (c’est-à-dire que nous réalisons en conscience) nous prenons soudain le temps de nous découvrir davantage. Car selon Kundera (grand écrivain tchèque émigré en France en 1975) : plus on va vite plus on fuit. Et c’est vrai que d’être dans une course permanente éloigne le sujet de lui-même. Parfois, avouons-le, cela nous arrange. Mais je rencontre de plus en plus de clients qui n’en peuvent plus de courir, de faire toujours plus. Ils réalisent peu à peu que rester occupé gèle les processus de pensée, et que leurs actions sans fin est un moyen de ne pas se confronter à soi-même. A force de faire vite, on coupe la connexion à soi-même, on ne prend plus le temps de reconnaître ses émotions. On s’éloigne de nos ressentis profonds.

Regardez un peu : quand vous essayez de retrouver un souvenir en mémoire, vous arrêtez instinctivement ce que vous faisiez car cela vous empêchait de vous concentrer, de chercher dans votre tête à refaire les liens entre différentes idées. Réfléchir c’est considérer une certaine lenteur et lui faire sa place. Sinon ? C’est la précipitation dans le gouffre.

Il est donc vital de reprendre le temps, le temps de regarder autour de soi, le temps de lâcher son GPS qui a déclenché la croyance que sans lui nous sommes perdus. Retrouver le goût de la découverte. Repérer les lieux en fonction du type de bâtiment, en fonction de la qualité de l’architecture et des pierres de taille.

Comment rester zen au travail ?

Il est primordial de prendre le temps dans sa journée de travail de faire quelques petites pauses de cinq minutes, en prenant conscience que se priver de ces cinq minutes peut aboutir à un résultat bien plus important (autrement dit “grave”), que de grappiller quelques instants de plus à faire “avancer” le boulot. Il a été prouvé que se lever de son bureau, porter son attention sur autre chose, discuter un moment avec un collègue, permet justement de prendre du recul sur la tâche que nous étions en train de faire, et cela ouvre de nouvelles perspectives avec une concentration accrue. Du “tout bénéf”.

D’ailleurs je vais vous confier ce que ma mère m’a souvent répété : “Nul n’est irremplaçable, surtout dans le boulot! Si tu t’effondres, un autre prendra ta place sans tarder et tes employeurs ne seront pas désolés pour toi ». J’ai eu l’occasion de constater qu’elle disait vrai. (Est-ce-que ça vous agace aussi quand vous réalisez que votre mère avait raison ?).

Conclusion :

Tout cela pour vous inviter à réfléchir à votre façon de gérer le temps. Si je vous demande comment se découpe votre journée, que me répondrez-vous ? Quelque chose comme : Réveil-boulot-dodo? Qu’en est-il de votre semaine ? Cinq jours de travail et deux jours de week-end ? Et si à présent vous décidiez de prendre plus de moments pour vous, pour réapprendre à apprécier les petits événements du quotidien ? Pour considérer votre petit-déjeuner appétissant et prendre le temps de vous installer à table ? Pour ressentir la douce chaleur des jets de la douche qui délasse vos épaules et votre dos, tout en respirant la suave odeur du monoï que vous appliquez sur votre peau ? … Et si plutôt que de klaxonner en rouspétant sur ces interminables bouchons, vous profitiez de ce temps pour écouter une bonne émission de radio, ou pour vous amuser des réactions des autres conducteurs, et vous féliciter de ne plus vous mettre dans le même état ? Au final, qui nous oblige toute la journée à nous presser autant, si ce n’est nous- même ?

La lenteur fait partie de nos besoins pour ne plus se perdre de vue, pour prendre du recul régulièrement sur ce que nous faisons et pensons, pour éviter de nous laisser envahir puis déborder par tout ce qui n’en vaut finalement pas la peine. De plus, prendre le temps de réviser ses priorités (famille, couple, loisirs, travail) et savoir définir les limites de nos implications renforce l’affirmation de soi et l’estime soi.

Et maintenant, si vous DEVIEZ prendre du temps pour vous, ce serait quand ?